
Le Faso Dan Fani est profondément ancré dans le patrimoine textile africain. Cette étoffe artisanale, reflet de l’identité culturelle africaine, occupe une place centrale au Burkina Faso, où elle est intimement liée à l’histoire sociale du pays. Mais qu’est-ce exactement que le Faso Dan Fani, et pourquoi revêt-il une telle importance ?
À travers son origine, son rôle dans les grands événements de la vie (festivités, mariages, rites funéraires), ainsi que sa portée économique et sociale, notamment pour l’émancipation des femmes, cet article explore en profondeur les multiples dimensions de ce tissage artisanal.
Bien au-delà d’une étoffe traditionnelle, le Faso Dan Fani est aujourd’hui porteur d’une tradition vivante, vecteur de changement et de fierté nationale.
1) Faso Dan Fani : origines, héritage culturel et transmission du savoir-faire
A) Un nom évocateur, symbole d’ancrage culturel
"Faso Dan Fani" se traduit par « le pagne tissé du pays » (Faso = pays, Dan = pagne, Fani = tissé) en langue mooré, la langue principale du Burkina Faso. De la même manière, en dioula, la seconde langue de pays, cela se traduit littéralement par "tissu de la patrie", renforçant ainsi le lien identitaire. Il incarne ainsi l'essence même de l'identité nationale burkinabè.
Derrière cette appellation, se cache une vision du tissu comme marqueur d’appartenance, de dignité et de lien à la terre natale. L’expression puise ses racines dans une longue tradition du textile au Burkina Faso, où les tissus ne sont pas de simples étoffes, mais de véritables supports d’identité et de mémoire collective. Le terme, dans sa construction linguistique, témoigne d’un ancrage à la fois culturel, artisanal et territorial.
Ce n’est qu’en 1985 que cette technique de tissage traditionnel prend officiellement le nom de Faso Dan Fani, bien qu’elle soit plus ancienne.
B) Le tissage artisanal en Afrique de l’Ouest : histoire et rôles genrés

Introduit dès le VIIIe siècle par des tisserands peuls du Niger, ce savoir-faire s’est diffusé peu à peu dans la région avec les routes de l’islamisation, touchant divers peuples du Mali puis du Burkina Faso. Si le tissage n’en était alors qu'à ses débuts, les techniques se sont considérablement développées au fil du temps répondant à un besoin très concret : produire des vêtements rapidement, dans une société où l’habillement revêtait une forte signification sociale et culturelle tout en respectant les codes de modestie apportés par l’islam.
Le tissage se faisait sur un métier horizontal, permettant de créer des bandes de tissu fines, longues et solides, utilisées pour confectionner des habits ou comme monnaie d’échange. Les hommes tissaient pendant la saison sèche, entre deux périodes de culture. Les femmes participaient au processus en récoltant, cardant et filant le coton, mais n’avaient pas accès au métier à tisser.
En effet, cet artisanat était réservé aux hommes initiés, associé à des rites sacrés et à un héritage transmis de père en fils, nécessitant une grande maîtrise technique. Cette pratique était considérée comme incompatible avec la pudeur féminine car la posture sur le métier nécessite d’écarter les jambes, ce qui était jugé indécent pour les normes sociales de l’époque.
C) La lente transmission du tissage aux femmes : du filage au métier à tisser
Historiquement, le tissage chez les femmes était très marginal et réservé à des métiers verticaux à lices fixes, d’origine yoruba. Mais physiquement exigeant et lent, ce type de tissage, effectué uniquement avec les bras, était difficile à intégrer dans le quotidien des femmes, souvent occupées à d'autres tâches domestiques comme le pilage du grain.
C’est au début du XXe siècle, avec l’arrivée des sœurs missionnaires chrétiennes à la capitale Ouagadougou en 1912, que le tissage a commencé à se diffuser parmi les femmes. Les sœurs ont créé des ouvroirs pour former des jeunes filles à divers travaux textiles. Peu à peu, elles introduisent le tissage dans la formation. Mais ce n’est que vers les années 1950 que des religieuses mossi, en s'inspirant du métier à tisser masculin, conçoivent un métier à tisser horizontal adapté aux femmes, dit “métier amélioré”, qui permettait de tisser en position assise, plus décente.
Ce progrès marque un tournant dans la transmission du savoir-faire. L’apprentissage se fait désormais entre femmes et ouvre la voie à une nouvelle génération de tisseuses. Encouragé par la société burkinabé qui appréciait la possibilité pour les femmes de générer un revenu tout en conservant leur rôle au sein du foyer, le tissage devient alors un véritable moyen d'indépendance économique.
2. Un tissu traditionnel pour les grandes étapes de la vie : de la célébration à l’hommage
A) Tenues traditionnelles et festivités : un héritage du sur-mesure africain
Comme dans la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest où l’industrie du prêt-à-porter n’existait pas avant l’ère moderne, c'était le tailleur de quartier qui réalisait les tenues sur mesure pour chacun dans des tissus locaux. En l'occurrence au Burkina Faso, c’était avec du Faso Dan Fani que les couturiers confectionnaient des tenues sur mesure, adaptées aux goûts et besoins de chaque individu.
Le Faso Dan Fani n’est pas une étoffe de tous les jours pour la majorité des Burkinabè, en raison de son épaisseur qui, couplée à la chaleur du Burkina Faso, le rend difficile à porter. Il reste toutefois un élément central des événements marquants de la vie sociale et culturelle.
Ce pagne est associé à des festivités communautaires, qu’il s’agisse de fêtes de village, de fêtes traditionnelles communautaires ou de célébrations religieuses. Lors de ces événements, le tissu devient une manifestation de l’identité culturelle et de la solidarité. Il est souvent porté par tous les participants comme un moyen de renforcer les liens sociaux et de célébrer l’unité.
B) L’art textile dans les rituels de passage et l’union familiale
Lors des différents rites de passage qui ponctuent la vie en Afrique, comme les initiations et les célébrations de passage à l'âge adulte, les étoffes locales sont souvent portées pour marquer la transition d’un statut à un autre.
Dans le cadre du mariage, le Faso Dan Fani occupe un rôle central. Il intervient à plusieurs étapes. Les mariés portent des tenues assorties confectionnées sur mesure, comme leurs proches, et le tissu peut aussi être utilisé pour décorer les lieux de la cérémonie. Il représente l'engagement et la prospérité du couple.
Très valorisé, il est offert en cadeau aux jeunes mariés et à leurs familles. Ce geste n’est pas seulement un acte de générosité mais aussi une reconnaissance du lien familial unissant les mariés à leurs ancêtres et à leur communauté. Ce textile africain devient ainsi un lien visible de l’union des deux familles renforçant les relations sociales et marquant le respect et l'honneur entre elles.
C) Rites funéraires et hommage textile aux ancêtres
Cette étoffe revêt une importance particulière lors des rites funéraires où elle sert à honorer les défunts. Utilisée comme linceul, pour envelopper le corps ou pour habiller les proches lors des funérailles, elle marque le passage entre les vivants et les ancêtres. Lors de ces cérémonies, le choix des couleurs et des motifs a une signification symbolique profonde, variant selon l’âge ou du statut social du défunt, et accentue ainsi le caractère personnel et respectueux de l’hommage rendu.
Le Faso Dan Fani devient ainsi un moyen d'exprimer le respect envers les ancêtres et de maintenir un lien spirituel avec les générations passées. Dans ces moments de deuil, ce textile africain incarne le respect des traditions, mêlant la célébration de la vie à l’hommage de l’au-delà.
Il est également offert aux proches pour marquer un acte de solidarité familiale. Il crée un lien tangible et visible entre les vivants et les ancêtres, tout en honorant la mémoire collective et en préservant les traditions.
3) Le Faso Dan fani : un artisanat emblématique de l'indépendance économique et du changement social
A) Un symbole de résistance et de fierté nationale
Sous le régime colonial, les produits textiles importés, souvent européens, étaient les références en matière de mode et de consommation, reléguant les tissus traditionnels au second plan. Après l’indépendance, le Faso Dan Fani est devenu un symbole de résistance contre l’impérialisme culturel et un moyen de réaffirmer l'identité nationale.
Sous la présidence de Thomas Sankara, dirigeant pragmatique et visionnaire, une politique de décolonisation culturelle est mise en place, visant à remplacer les produits importés par des produits locaux. En 1984, l’obligation pour les fonctionnaires de porter le “pagne tissé de la patrie“ a constitué un geste fort pour renforcer la souveraineté nationale et afficher la fierté burkinabè sur la scène internationale.
Le Faso Dan Fani n’était pas seulement porté dans les cérémonies, mais est devenu un acte quotidien patriotique, célébrant l’histoire et la culture nationale. Cette étoffe a mis en lumière les savoir-faire traditionnels et incarne l’indépendance du pays marquant une rupture avec l'héritage colonial et affirmant une culture burkinabé authentique.
Pour en apprendre davantage sur l’impact de Thomas Sankara sur la transformation sociale et économique du Burkina Faso, je vous conseille ce podcast passionnant qui plonge dans l’histoire de cet homme d'exception et de son héritage. Découvrez ce podcast ici.
B) Un moteur de croissance économique et de consommation locale
Le Faso Dan Fani a joué un rôle central dans la politique de consommation locale. Dans les années 1980, l'État burkinabè a mis en place des mesures pour soutenir le secteur textile, alors marginalisé face aux tissus importés. L’objectif était de stimuler l'industrie locale, moderniser la production de pagne local et le rendre accessible à un large public tout en renforçant l'autosuffisance du pays. En favorisant l’utilisation de coton local, cette politique visait à renforcer la souveraineté agricole et à réduire les importations de matières premières.
Le gouvernement a encouragé la culture de coton local en créant des programmes de soutien aux producteurs. Parallèlement, des coopératives de tisseuses ont été créées permettant aux artisanes de se regrouper pour optimiser leur production. Des centres de production artisanale ont également été financés, offrant aux artisans l’accès à des métiers à tisser modernes. Ces initiatives ont permis d’augmenter la productivité et d’assurer une production à grande échelle de ce textile tout en respectant les traditions locales.
Le Faso Dan Fani est ainsi passé du statut de tissu traditionnel à celui de produit de masse, créant une véritable demande, dans les cercles politiques et parmi les familles, qui ont adopté le pagne tissé comme une manifestation de fierté nationale.

C) Un outil d’émancipation pour les femmes burkinabè
La transmission du tissage des hommes aux femmes a marqué un tournant dans l'émancipation des femmes burkinabè. Les femmes sont devenues des actrices économiques au sein de leur foyer. Le tissage a renforcé leur position sociale et familiale, leur offrant un moyen de contribuer financièrement tout en restant attachées à leur rôle traditionnel.
Cette indépendance a été encouragée par le gouvernement de Thomas Sankara, qui a vu dans le tissage un moyen de valoriser les femmes et de les intégrer à la révolution sociale et économique. Le Faso Dan Fani est ainsi devenu un symbole de l’engagement des femmes, leur offrant la possibilité de soutenir leur famille, d’assurer l’éducation de leurs enfants et d'apporter une contribution directe au développement du pays.
À travers les coopératives et les groupements, cet artisanat a favorisé la création d’un réseau de solidarité féminine. Ces femmes, en se soutenant mutuellement dans leur apprentissage et leur production, ont renforcé leur autonomie collective et leur capacité à agir ensemble pour défendre leurs droits. Ce tissage artisanal est ainsi devenu un outil de transformation sociale, affirmant leur place dans la société et l’artisanat africain.
Conclusion
De l’étymologie de son nom à l’évolution de la pratique du tissage, le Faso Dan Fani témoigne d’un patrimoine vivant du Burkina Faso, profondément enraciné dans l’histoire et les traditions de l’Afrique de l’Ouest.
Fabriquée avec soin, cette étoffe illustre l’importance d’un savoir-faire artisanal africain, et son rôle essentiel dans la société présent à toutes les étapes de la vie. Aujourd’hui, elle contribue à une économie locale dynamique, tout en soutenant les femmes burkinabè dans leur quête d’émancipation. Le Faso Dan Fani s’ouvre ainsi à de nouvelles perspectives économiques et sociales, reflétant avec force le dynamisme et la résilience de ses artisanes.